"L’évènement" 11 septembre
À l’occasion des vingt ans des attentats du 11 septembre 2001, le projet de recherche DEMOSERIES (hébergé par l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et financé par l’European Research Council et rattaché à l'ISJPS) s’associe à l’IRSEM (Institut de recherche stratégique de l’École militaire) et au CNRS pour organiser un colloque international interdisciplinaire qui aura lieu les 30 septembre et 1er octobre 2021. Ces deux jours s'attacheront à étudier les liens entre l’évènement lui-même et les séries sécuritaires qui se sont développées a posteriori.
Que reste-t-il du 11 septembre aujourd’hui ? Terrorisme djihadiste, pandémie, mouvances d’extrême-droite : les multiples crises auxquelles sont confrontés les régimes démocratiques continuent d’être appréhendées à l’aune du 11 septembre 2001, près de vingt ans après les faits. Les attentats de novembre 2015 à Paris et Saint-Denis sont encore qualifiés de « 11 septembre à la française », face au choc et aux multiples bouleversements qu’ils ont entraînés. Aux États-Unis, le nombre de morts quotidiens dans la crise du Covid-19 est régulièrement comparé à celui des victimes du 11 septembre, pour faire prendre conscience de la gravité de la crise. L’assaut sur le Capitole lancé par les partisans de Donald Trump le 6 janvier 2021 a paradoxalement ravivé le souvenir du 11 septembre, en rappelant la menace que les différentes mouvances d’extrême-droite et/ou complotistes font peser sur la démocratie.
Cette place des attentats de 2001 dans les référents collectifs signale le caractère indépassable de « l’évènement » 11 septembre : en tant que surgissement de l’inattendu, quand bien même la précédente attaque sur le World Trade Center en 1993, et la montée en puissance de la menace djihadiste incarnée par Al-Qaida, auraient pu rendre ces attentats concevables, si ce n’est prévisibles ; en tant que manifestation de la puissance de l’appareil médiatique ensuite, où la couverture en direct, qui participe de l’évènement même, fait naître une demande supplémentaire de sens ; en tant que trauma collectif enfin, rappelé par l’état de sidération, puis de grande incertitude, qui fait suite à des attentats, immédiatement perçus sur le mode du film catastrophe et de la fiction.
Évènement fondateur et paradigmatique du XXIe siècle, les attentats du 11 septembre signeraient ainsi le début d’une nouvelle ère, marquée par la permanence de l’état d’exception, et la prééminence de la raison d’État sur la scène politique internationale et dans l’imaginaire collectif. L’adoption en urgence, dans un grand nombre de pays occidentaux de législations anti-terroristes très contraignantes, voire liberticides, signale les profonds bouleversements entrainés par ces attentats dans l’ordre juridique et politique. La transcription dans le droit commun d’une partie de ces mesures, et l’installation durable dans le débat public d’un arbitrage nécessaire entre liberté et sécurité, qui ressurgit à chaque attentat, rappelle l’impact durable des attentats de 2001 sur les communautés politiques. L’accroissement considérable des moyens alloués aux agences et services de renseignement pour lutter contre le terrorisme confirme la domination du renseignement dans les appareils de sécurité et de défense post-2001, et avec lui, l’impératif de réduction de l’incertitude dans l’environnement sécuritaire.
C’est aussi une nouvelle ère culturelle qui s’ouvre, le souvenir du 11 septembre constituant un composant essentiel de la culture médiatique et populaire du XXIe siècle. Si les attentats sont souvent laissés hors-champ par la création filmique et sérielle, tant leur monstration semble impossible autrement que sur le mode de la citation, les effets (réels ou supposés) du 11 septembre sur les démocraties continuent de saturer l’espace fictionnel. Le risque de détérioration des régimes démocratiques sous les effets du contre-terrorisme et d’une dérive sécuritaire constitue l’un des ressorts dominants de la création contemporaine, caractérisée par la multiplication de films et de séries télévisées qui font la part belle aux ennemis intérieurs et extérieurs, à des menaces multiformes, et aux différents acteurs (étatiques ou non-étatiques) censés les combattre. Outre cette convergence thématique de la fiction post-2001, le rapprochement entre acteurs de la sécurité et créateurs en tout genre, dans les domaines du conseil à l’écriture mais aussi de l’anticipation stratégique, constitue l’un des effets durables du 11 septembre.